A défaut de pouvoir fouiller les étagères des médiathèques et les bacs des soldeurs aux Puces, il nous reste l’exploration des rayonnages de disques dans les bibliothèques numériques… L’idée de faire un mix à partir des collections sonores de Gallica me trottait dans la tête depuis un moment. En voici une première concrétisation, que je tâcherai de prolonger dans les prochaines semaines. Cette sélection purement subjective puise dans le fonds de musiques traditionnelles enregistrées sur disques 78 tours qui est issu des collections du département de l’Audiovisuel de la BnF. Elle n’a pas vocation à être représentative de l’ensemble des documents sonores consultables dans Gallica (on se référera pour cela aux pages Sélections qui leur sont consacrées sur le site). Il faut plutôt l’imaginer comme une pile de bons disques que l’on a découverts et dont on aurait envie de partager l’écoute. C’est une sorte de déambulation sonore le long des rayonnages d’une bibliothèque virtuelle. J’en ai arbitrairement fixé le point de départ en Grèce puis me suis laissé porter vers l’est, pour arriver finalement à Bali. On traverse la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde, le Tibet, la Chine, le Japon et le Laos avec des enregistrements compris entre 1909 et 1952. Ce mix s’accompagne d’un petit texte de présentation des treize morceaux qui le composent. Celui-ci n’a pas de prétentions ethnomusicologiques, ce n’est pas mon domaine, j’ai en revanche essayé d’apporter des éléments de contexte sur la partie discographique quand je le pouvais. J’ai également ajouté plusieurs renvois vers des corpus spécifiques dans Gallica et vers d’autres ressources en ligne quand cela m’a semblé pertinent. Il suffit de cliquer sur le lien “Ecouter dans Gallica” à la fin de chaque paragraphe pour accéder aux enregistrements. L’étiquette de chacun des disques est consultable dans un diaporama à la fin de ce post. Bonne écoute !
Irène Bogiatzi : Adieu, montagnes élevées (Grèce) Cette sélection s’ouvre sur un splendide chant a cappella enregistré lors de la campagne de collecte phonographique qu’effectue Hubert Pernot à travers la Grèce en 1930. Près de 200 disques sont enregistrés à cette occasion par celui qui dirige alors le Musée de la Parole et du Geste, lointain ancêtre de l’actuel département de l’Audiovisuel de la BnF. Cet ensemble unique complète les enregistrements réalisés précédemment par Pernot en Roumanie et en Tchécoslovaquie. >> Ecouter dans Gallica
Osman Pehlivan : Anadolu Kasik Havasi (Turquie) Le morceau qui suit est un solo de tambûr, un instrument à cordes pincées de la famille des luths, enregistré en 1928 par His Master’s Voice dans la ville qu’on appelle encore Constantinople. Ce thème rappellera peut-être quelque chose aux amateurs de musique turque et aux fans de Barış Manço, qui l’a immortalisé au début des années 70 avec son génial Lambaya Püf De (on écoutera aussi les versions electro proposées plus récemment par Free the Robots et Ko Shin Moon). >> Ecouter dans Gallica
L’Orchestre oriental Perfectaphone : Danse des Chiftèlélli (Turquie) Perfectaphone fait partie de ces petites marques françaises de l’entre-deux-guerres dont la richesse du répertoire ne laisse pas d’émerveiller. Le music-hall et le fox-trot y côtoient ainsi des enregistrements de musique arabo-andalouse, arménienne, turque ou yiddish. Et que dire de cette somptueuse étiquette brune et ocre sur laquelle on aperçoit des disques surgis de la lyre d’un ange ? Voilà le genre de petits détails qui rendent les disques 78 tours aussi captivants. Ce que l’on entend ici est un Tsifteteli (Çiftetelli en turc), une musique de danse très répandue en Turquie et en Grèce. >> Ecouter dans Gallica
Ali Khan Aref (Iran)
Cette exploration des collections sonores de Gallica se poursuit avec un enregistrement de musique persane tiré de l’anthologie de douze disques Musik des Orients, entreprise phonographique pionnière produite en 1928 par l’ethnomusicologue allemand Erich von Hornbostel avec le soutien des marques Odeon et Parlophon (et que l’on peut écouter intégralement dans Gallica). Voici un exemple de tahrir, technique vocale caractéristique de la musique persane. Ce chant vibrant est ici accompagné d’un luth et d’un violon. La musique est précédée d’une brève introduction parlée énonçant le nom de la marque et de l’interprète du morceau. Cette pratique, héritée des premiers temps de l’industrie phonographique, a perduré jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans certaines régions du monde comme l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. >> Ecouter dans Gallica
Pavel Maïsouradzé : Rast (Géorgie)
Le camarade Jonathan Ward, du blog Excavated Shellac, a également choisi ce morceau pour la playlist qu’il a réalisée l’année dernière pour Gallica. Qu’il nous pardonne l’emprunt de cette référence qui devrait faire partie de la discothèque idéale de tout Gallicanaute qui se respecte. Le bourdon hypnotique de ce duduk, instrument à anche double du Caucase, a été enregistré à Tbilissi en 1909. On se référera au texte de Jonathan Ward pour en savoir plus à son sujet. >> Ecouter dans Gallica
Mirza Nazar Khan : Bâza Kâr e Man (Afghanistan) Le blog Afghan Records Gallery nous apprend que Mirza Nazar Khan était un diplomate afghan en poste à Paris à la fin des années 20. Musicien amateur, il est invité en 1928 à se produire à Londres à l’occasion de la visite du roi d’Afghanistan, Amanullah Khan. Il en profite pour enregistrer quelques disques, sur lesquels il chante accompagné d’un harmonium. Ce disque faisait partie de la collection personnelle de Roger Dévigne, folkloriste et critique musical qui deviendra le premier directeur de la Phonothèque nationale à sa création en 1938. >> Ecouter dans Gallica
M. Issack : Ratnatre Adharen (Inde)
L’Inde est assez largement représenté dans les collections sonores de Gallica, qui permettent notamment d’écouter les tous premiers disques monofaces enregistrés dans le pays au début du XXe siècle par la marque Gramophone et ses ingénieurs du son-voyageurs Fred Gaisberg et William Sinkler Darby. Ce disque, bien plus tardif, date de 1929. Il nous semble que contrairement à ce qu’indique son étiquette, ce ne sont pas des cloches que l’on entend mais plutôt un jal tarang, cet instrument à percussion composé de bols de porcelaine de tailles variables et plus ou moins remplis d’eau. >> Ecouter dans Gallica
Wangdi & Somthen : Luma Namthar (Tibet) La musique tibétaine a été très peu enregistrée à l’ère du 78 tours, il s’agit donc ici d’un disque fort rare, dont on doute qu’il existe beaucoup d’autres exemplaires dans le monde. Ce duo vocal a été enregistré en 1926 à Calcutta, en Inde, ville qui fut, dès le début du XXe siècle, l’un des centres névralgiques de l’industrie phonographique en Asie. >> Ecouter dans Gallica
Madame Yu : Chant de vendeuse de fleurs (Chine)
Les Archives de la Parole et les institutions qui lui ont succédé (Musée de la Parole et du Geste, Phonothèque Nationale et l’actuel département de l’Audiovisuel de la BnF) ont ceci de particulier qu’elles ont dès le départ produit leurs propres archives sonores, que ce soit en enregistrant dans leur studio à Paris ou en organisant des campagnes de collecte à travers la France et l’Europe. En 1952, la Phonothèque nationale édite sous l’impulsion de son directeur Roger Dévigne le coffret “Folklore exotique“, qui se propose de compiler des “Chants de travail, de fête, d’amour et de magie” des quatre coins du monde. Le nom de l’interprète de ce “Chant de vendeuse de fleurs” n’est pas précisé sur l’étiquette du disque mais il nous est donné au début de l’enregistrement : “Madame Yu”. On ne sait malheureusement rien d’autre à son sujet. >> Ecouter dans Gallica
Iwao Yamaguchi : Ryûkyû-gumi (Japon)
Le Japon est également très bien représenté dans les fonds sonores de Gallica, des premiers cylindres enregistrés à Paris lors de l’Exposition universelle de 1900 aux anthologies sur disques publiées par la branche japonaise de la marque Columbia. Dans ce morceau extrait de “L’Histoire de la musique japonaise” éditée en 1934, on entend un chanteur s’accompagnant au shamisen, un luth à trois cordes. >> Ecouter dans Gallica
Anonyme (Mongolie-Intérieure)
En 1941, le musicologue japonais Hisao Tanabe publie l’anthologie “Musique de l’Asie orientale“. Ce recueil de 10 disques entend répondre au “Musik des Orients” sorti 13 ans plus tôt en Allemagne et que nous avons évoqué plus haut. On lira avec intérêt cet article qui analyse en détail cette entreprise phonographique marquée par l’idéologie impériale japonaise. Le morceau que l’on entend ici est un bel exemple de khöömii, le chant de gorge pratiqué en Mongolie et dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure. >> Ecouter dans Gallica
Thao Keota : Sonth Noy (Laos)
L’idéologie est également indissociable de cet enregistrement de khên laotien, un orgue à bouche aux sonorités hypnotiques, réalisé lors de l’Exposition coloniale de Paris en 1931. Près de 350 enregistrements sont produits par la marque Pathé lors de cet événement pour le compte de l’Institut de Phonétique et du Musée de la Parole et du Geste, dans un esprit qui mêle célébration de l’esprit colonial et démarche scientifique (lire à ce sujet l’article de Pascal Cordereix Les enregistrements du musée de la Parole et du Geste à l’Exposition coloniale). >> Ecouter dans Gallica
Gamelan Angklung : Berong pengètjèt (Bali) Cette sélection se conclut sur un enregistrement de gamelan, l’ensemble instrumental typique de la musique javanaise et balinaise qui mêlent gongs, xylophones et tambours. Ce disque est tiré de l’Anthologie Musik des Orients citée précédemment. >> Ecouter dans Gallica
Superbe sélection que je vais écouter rapidement ! Et merci pour la mention : )
Pour l’anecdote, l’interprète du disque Iranien s’appelait Ali Khan Aref et il semble qu’aucun autre enregistrement n’existe de sa part.
Super, je mets le post à jour en ajoutant son nom, qu’on entend effectivement dans l’annonce au début du disque. Merci Julien !
Merci beaucoup pour ce post. Si vous êtes sur fb, n’hésitez pas à venir inonder notre page “musiques traditionnelles” de vos trouvailles !
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